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137 – MARIE-GABRIELLE DE SAVOIE (1688-1714)

duchesse d’Anjou, reine d’Espagne
« une grande petite reine »

Marie-Louise-Gabrielle, Reine d'Espagne. Une nouvelle et éphémère union entre les Savoie et les Bourbons.

Au départ, tout commence bien, certes son père le duc Victor-Amédée II est bien sévère mais sa mère Anne d’Orléans {135} est aimante, sa grand-mère Marie-Jeanne-Baptiste attentionnée {105}, son frère et sa sœur {136} plaisants. Cependant la vie ne peut s’écouler sans évènements, elle voit d’abord partir sa sœur Adélaïde appelée à Versailles puis en 1700 c’est la surprise lorsque ses parents reçoivent une lettre officielle de Louis XIV la demandant en mariage pour son petit-fils Philippe, ex duc d’Anjou devenu roi d’Espagne (1683-1746) qui dépassé par les évènements et un peu perdu dans la vie officielle madrilène songe à une épouse (de plus Louis XIV espère bien par ce mariage amener le duc de Savoie à une alliance française dans la question si difficile de la succession d’Espagne, mais il en eut fallu davantage pour rallier le retord Victor-Amédée).

Le mariage est célébré en grande pompe à la chapelle du Saint Suaire en septembre 1701 puis c’est le grand départ, la jeune princesse quitte ses parents au col de Tende et gagne Nice où elle rencontre la vieille, mystérieuse et ambitieuse princesse des Ursins (en fait Orsini) tout juste nommée "Camera Mayor" par le gouvernement espagnol autant pour l’initier à son nouveau statut que pour la surveiller. Bien commencé, le voyage se déroule néanmoins difficilement puisque retardé par les tempêtes et attristé par le départ progressif des Piémontais de l’entourage de la princesse désormais exclusivement espagnole.

A Figueras en Catalogne, elle rencontre enfin son époux pour sa plus grande joie « il est bien aimable » mais impossible d’en faire plus car la guerre suscitée par l’impérialisme français a éclaté et le jeune souverain se doit d’aller défendre les parties italiennes, les plus menacées, de l’empire espagnol. Force est donc à la jeune souveraine de se rendre « seule » à Madrid d’autant plus méritante pour s’imposer et se retrouver dans un monde inconnu et fort difficile.

Certes le jeune Philippe s’impose assez facilement en Italie, remontant de Naples vers la Lombardie et rencontrant même son beau-père à Alessandria, alors que Marie-Gabrielle se voit confrontée aux attaques navales anglo-hollandaises et à la nécessité d’un effort de guerre qui lui impose des interventions politiques auxquelles elle était vraiment très peu préparée dans un pays où l’on avait déjà peu l’habitude des politiques personnelles des souveraines, la situation est en plus aggravée par les manœuvres concurrentes et fort impopulaires de l’ambassadeur de France (le cardinal d’Estrée ) et de Madame des Ursins tout deux bien décidés à profiter de la situation pour s’imposer comme les vrais guides de la monarchie.

Heureusement Philippe revient en 1702 et l’on peut croire à un rétablissement de la situation mais hélas les évènements se bousculent pour rendre la situation presque intenable, en effet les alliés soutiennent les prétentions du fils cadet de l’empereur habsbourg (l’archiduc Léopold devenu Charles III d’Espagne), les troupes ennemies débarquent un peu partout et suscitent la rébellion des provinces périphériques ,en particulier de la Catalogne, en tous les cas les Anglais s’emparent de Gibraltar et détruisent les flottes espagnoles. Certes le maréchal français Berwick arrive à faire une utile diversion au Portugal mais il n’empêche que la cour doit évacuer Madrid où entre Charles III , au moment même où l’on apprend le retournement de Victor-Amédée II qui , une nouvelle fois, change de camp et se retourne contre Louis XIV et donc contre son gendre. L'habile souverain met la jeune reine dans une triste situation ce qui ne l’empêche pas d’apparaître à la tête de l’effort de résistance pour insuffler du courage aux autorités hésitantes , pour recruter des troupes , financer leur équipement tout en tremblant (surtout au moment du siège de Turin de 1706) pour ses parents dont elle est dorénavant isolée (se contentant d’adresser à son père des lettres officielles pour lui rappeler ses engagements antérieurs et les promesses de Louis XIV en cas d’une nouvelle alliance). La naissance d’un premier infant héritier (Ferdinand) semble susciter un peu d’espoir mais la conjoncture s’aggrave encore sur le plan militaire (défaite espagnole d’Almiranza) comme sur le plan politique (Louis XIV obligé d’intervenir dans les intrigues de Madame des Ursins rappelle momentanément cette dernière et son ambassadeur ) et sur le plan familial (puisqu’au même moment Philippe perd son propre père, le grand dauphin et son frère le duc de Bourgogne et surtout l’épouse de ce dernier, Marie-Adélaïde, la sœur tant aimée de Marie-Gabrielle déjà affectée par le décès d’un second fils.

En 1710, on sent néanmoins un frémissement de reprise avec la campagne du duc de Vendôme vainqueur à Villaciosa, la possibilité du couple royal pour revenir à Madrid et surtout de nouvelles naissances au palais. Hélas ! la jeune reine épuisée tombe malade et n’assiste que de loin aux négociations du traité d’Utrecht confirmé en 1714 par celui de Rastadt qui garantit enfin la couronne à Philippe V (même s’il doit renoncer pour cela aux vieilles terres espagnoles d’Italie et des Pays Bas) . Louis XIV envoie à Madrid son médecin Elvezio (Helvetius) qui ne peut que constater l’état incurable de la souveraine qui s’ éteint en février 1714 «ayant conservé un jugement sain et une connaissance parfaite jusqu’au dernier moment de sa vie». Selon Saint-Simon, « elle avait su se faire adorer des Espagnols par ses manières simples et affables et par la générosité de son âme », d’où une «désolution universelle» lors de son décès …

Elle laissait un époux épuisé et accablé avec des enfants en bas âge donc dans l’obligation de se retrouver femme le plus vite possible, ce qui explique son remariage en décembre 1714 avec Elisabeth Farnèse, princesse de Parme (1692-1766) à laquelle avec une impulsion toute bourbonienne, il donna encore sept enfants. Tout avait été suggéré bien sûr par l’ambassadeur de France Alberoni et par Madame des Ursins qui n’en profita guère puisque la nouvelle souveraine peu reconnaissante la chassa immédiatement du palais royal l’obligeant en plein hiver à quitter l’Espagne pour aller mourir bientôt en Italie. Décidément l’Italie restait une terre essentielle dans l’horizon politique espagnol. En effet face à l’impérialisme autoritaire et orgueilleux des Français, les autorités espagnoles cherchaient d’utiles personnalités en Italie ce qui leur permit de se procurer presque en même temps de belles et grandes figures comme Marie-Gabrielle, Madame des Ursins, Alberoni et enfin la nouvelle reine Farnèse, …

Marie-Gabrielle fut bien sûr rapidement oubliée, cependant l’opinion ne cessa de louer l’énergie de cette jeune femme « la Savoyana » qui en dépit de son inexpérience et de ses origines se dévoua sincèrement à son mari et à travers lui à son royaume , révélant une personnalité dont l’Espagne ne put profiter (aurait-elle même été capable de la supporter longtemps ?)

Le régne de Marie-Gabrielle ne peut se concevoir sans l’ombre mystérieuse de Madame des Ursins dont on ne cesse de s’interroger sur la nature réelle, mère affective et évidemment envahissante pour la jeune souveraine ? une ambitieuse discrète mais obstinée ( n’essaya-t’elle pas d’obtenir une principauté en Flandre en 1713 ?) ou une agent secret française ? (d’où ses relations troubles avec madame de Maintenon).

Ces interrogations renvoient sur la perspective d’une reine qui eut fort affaire pour satisfaire les appétits sexuels de son mari ainsi que ses ambitions politiques, pour s’imposer à des autorités politiques très peu favorables normalement à une reine étrangère trop active et enfin pour résister aux intrigues d’une cour qui la considéra toujours plutôt comme un pion sur l’échiquier international.


  • BOTTINEAU Y. : L’Espagne sous les rois de la maison de Bourbon au XVIIII° siècle.
  • Mme SOUKY-DECOTTE: Mme des Ursins, roi d’Espagne. 1946
  • Cf : SAINT SIMON , Sur la princesse des Ursins, sur la reine elle même , sur Philippe V.
  • Cf l’énorme bibliographie sur Madame des Ursins et sur sa correspondance : Lettres Inédites de Madame la Princesse des Ursins à M. le Maréchal de Villeroi : Suivies de sa Correspondance avec Madame de Maintenon ; Et précédées d'une notice biographique sur la vie de Madame des Ursins. Paris, Léopold Collin, 1806, XLVIII, 236 S.
  • SAINTE BEUVE : Causeries du lundi (1851-1881), 16 volumes (1804-1869)
  • La princesse des Ursins. (1er article). Lundi, 16 février 1852.
  • La princesse des Ursins. (2e article). Lundi, 23 février 1852.
  • La princesse des Ursins. Lundi, 8 août 1859.
  • TESSE (Maréchal de). Lettres du Maréchal de Tessé à madame la duchesse de Bourgogne - Madame la princesse des Ursins - Madame de Maintenon - Monsieur de Pontchartrin, etc. Publiées par le comte de Rambuteau. Paris 1888. In-8, (1) f., portrait, (1) f., XXXI pp., 505 p.
  • Revue des Deux Mondes. La princesse des Ursins, sa vie, son caractère politique. Tome 23 : septembre et octobre 1859.
  • CERMAKIAN Marianne. Le dessous des cartes. Saint-Simon et la princesse des Ursins, Cahiers Saint-Simon, n°2, 1974, p. 31-40.
  • CHEVRILLON, SAINT RENE TAILLANDIER Madeleine-Marie-Louise : . La princesse des Ursins, une grande dame française à la cour d'Espagne sous Louis XIV. Paris, Hachette, 1926, 239 pages.
  • COMBES François (1816-1890,). La princesse des Ursins, essai sur sa vie et son caractère politique. Paris, Didier et Cie, 1858.
  • COURCY (, Marquis de). L'Espagne après la paix d'Utrecht 1713-1715. La princesse des Ursins et le marquis de Brancas. Un grand inquisiteur d'Espagne à la cour de France. Les débuts d'une nouvelle reine. Paris, Plon, 1891. -439 pp.
  • DUMAS A.. Le Chevalier d'Harmental, Chapitre VII "Alberoni"
  • KAPLAN , Francis. Duc de Saint Simon. Mémoires sur le règne de Louis XIV. Anthologie suivie. Textes choisis, annotés et préfacés. Paris, Flammarion, 2000, 1223 p.
  • "55. Le roi d'Espagne, la reine d'Espagne et la princesse des Ursins 198P.
  • MAINTENON(marquise de). Lettres à d'Aubigné et à Madame des Ursins intro. et notes de Gonzague Truc, Paris, , 1921,
  • MAINTENON (marquise de) : Lettres de Mme de Maintenon à diverses personnes, Amsterdam, chez Pierre Erialed, 1757, 9 vol.
  • Correspondance avec la princesse des Ursins (vol. 8)
  • Lettres inédites de Mme de Maintenon et de Mme la princesse des Ursins, Paris, 1826, 4 vol.
  • 1 lettre au roi d'Espagne et 83 lettres à Mme des Ursins, datées de 1713 à 1715, et autant de lettres provenant de cette dernière à partir de 1705.
  • Lettres envoyées par Mme des Ursins (vol. 4)
  • LOYAU M. Correspondance entre Mme de Maintenon et la princesse des Ursins 1709: l'année tragique. Paris, 2002, 421 p.