Skip to content

76 – CHARLOTTE DE SAVOIE (1441-1483)

Reine de France
« un honneur qui fut son malheur »

Charlotte de Savoie représentée dans l'Armorial d'Auvergne par Gaignières.

Charlotte est fille de Louis, second duc de Savoie et d’Anne de Chypre {74} qui avaient la lourde charge d’établir une quinzaine d’enfants. Après avoir vainement pensé la marier avec Fréderic (1439-1451), fils de l’électeur de Saxe, ses parents la « vendent » en 1451 (elle n’a que 8 ans) à Louis, (1423-1483) dauphin de France, qui, à 28 ans, pourrait déjà être son père. On vantait son goût et sa culture même si les contemporains ne la considéraient pas capable de satisfaire un homme Sa famille lui fait pourtant une dot considérable de 200.000 écus (qu’on aura bien de la peine à rassembler puis à donner d’où le chantage incessant que Louis fit ensuite à sa (belle) famille de Savoie) ; mais l’essentiel est surtout l’alliance passée entre le duc et le dauphin alors en délicatesse depuis des années avec son père. De toutes les façons, ce mariage ne s’ouvre pas sur les meilleures auspices, Louis (le futur Louis XI) est veuf de Marguerite d’Ecosse morte en 1444 (rendue célèbre pour avoir été surprise à embrasser le poète Chartier sur la bouche , d’où cette ultime défense « je n’ai pas baisé l’homme mais la bouche d’où sont sorties tant de propos vertueux. A quoi bon la vie ! ne m’en parlez plus… »). En tous les cas, le dauphin avait été très porté à un remariage par ses parents de Bourgogne qui lui ont certainement vanté les qualités et les «possibilités» de la petite princesse de Savoie qui avait, elle aussi, par sa grand-mère du sang bourguignon.

Cependant le promis brouillé avec son père avait bien sûr oublié de le prévenir provoquant chez ce dernier une belle fureur et en conséquence des bruits de bottes vers les Alpes. Sentant le danger, le duc Louis I° avait envoyé son grand ami Jean de Compeys négocier avec son ombrageux voisin mais on tarda tant que ce dernier en fut encore plus offensé ce qui obligea le duc lui-même à venir s’excuser auprès du roi à Feurs en Forez. Pour montrer sa bonne volonté, le duc accepta le principe d’un mariage entre son fils et héritier Amédée avec une autre fille du roi, donc une sœur de Louis, la princesse Yolande {76}. Finalement le duc ne s’en tirait pas trop mal puisqu’il avait renforcé au mieux les liens entre les deux familles de France et de Savoie, chacune donnant à l’autre un fils (aîné) et une fille (Jean de Compeys ne s’en était pas trop mal tiré non plus en devenant aussi l’amant de la duchesse Anne).

On maria donc en 1451 à Chambéry Charlotte et Louis, mais la jeune épouse ne rejoignit son mari qu’en 1457 (avec un âge «présentable» de 14 ans) à Gennapes près de Bruxelles (le prince s’étant réfugié en Flandre auprès de son oncle Philippe de Bourgogne) et immédiatement ce fut l’enfer pour une adolescente toute surprise de se trouver là auprès d’un inconnu grossier et brutal qui ne lui pardonna pas de lui donner un premier bébé presque mort né. Lorsqu’en 1561, Charles VII étant (enfin) mort, Louis se précipite à Paris, c’est sans sa femme qui ne le rejoindra que bien après son couronnement et encore pour se faire renvoyer presque aussitôt à Amboise où le nouveau roi avait déjà relégué sa mère Marie d’Anjou. (On peut supposer que l’exemple de sa turbulente belle-mère, Anne de Chypre, lui faisait craindre l’influence néfaste des femmes dans les familles princières…)

Désormais la jeune reine «Bonne, honnête et très noble dame», «elle n’était point de celles où on devait prendre grand plaisir mais au demeurant fort bonne dame» (Philippe de Commynes) est condamnée à mener une vie retirée, discrète et austère sur les bords de la Loire, loin de son mari qui ne la rencontre plus que pour de nouveaux essais d’enfantement (sept en tout) tous aussi malchanceux les uns que les autres puisque ce ne sont successivement que des enfants incapables de survivre ou des filles, ce qui désespère le souverain. Enfin en 1470, le couple a un fils, le futur Charles VIII, que le roi s’empressera d’emmener à Paris avec lui loin de sa mère. La pauvre Charlotte survit à Amboise au milieu d’une cour cultivée mais modeste avec ses deux filles survivantes, Anne et Isabelle, ainsi qu’avec ses jeunes frères et sœurs, que le roi a fait venir pour leur donner soi disant protection et éducation.

C’est que Louis XI est devenu maintenant le protecteur, ô combien envahissant ! de la famille de Savoie et c’est à ce titre qu’en 1664, il fait enfermer arbitrairement à Loches Philippe de Bresse, le propre fils cadet du duc Louis (donc le frère de Charlotte) coupable d’avoir assassiné un dignitaire de la cour de Savoie auquel il reprochait d’être tombé amoureux de sa mère, la duchesse Anne de Chypre). Toute la famille de Savoie va ainsi défiler à Amboise pour implorer vainement la pitié du roi du moins jusqu’en 1468, date du renvoi du prisonnier. C’est alors que le roi va «marier » ses belles-sœurs au mieux de ses intérêts, Anne-Marie {77} est donnée au jeune comte de Saint Pol fils d’un grand ami du roi, auquel ce dernier confie son autre belle-sœur, Marguerite {80}, tandis que Bonne {79} offerte un moment à Edouard II d’Angleterre, part à Milan épouser Galeazzo Sforza. Enfin Agnès {78} échoit à François d’Orléans «le beau Dunois», cousin du roi, quant à François à défaut de le marier on en fait, faute de mieux, un archevêque (d’Auch). Tout cela réussit plus ou moins, généralement plus mal que bien car Louis XI fait exécuter pour haute trahison Pol de Luxembourg ce qui pousse Jacques, comte de Romont, le frère de Marguerite et de Marie à s’allier à Charles le Téméraire et à devenir ainsi un irréductible ennemi du roi mais qu’importe l’influence française n’a jamais été aussi forte en Savoie et de toutes les façons, personne n’a demandé son avis à Charlotte.

Statut de Charlotte de Savoie

De temps en temps, la pauvre souveraine sort de son château pour aller à Paris, à Dijon ou même en Dauphiné (en 1471), ce qui lui permet de revoir occasionnellement sa famille mais sans ses enfants, la pauvre ne peut que rentrer au plus vite dans sa retraite des bords de Loire. Il est certain qu’elle fut fidèle à son mari, mais l’inverse est douteux car l’on connaît bien les maîtresses de ce dernier : Félisée Regnard et Marie de Sassenage que la pauvre reine dut supporter en silence. On compte d’ailleurs sept enfants illégitimes du roi soit presque autant que les huit qu’il donna à son épouse (le futur Charles VII vint au monde seulement en 1470 précédé - à la grande fureur de son père- par des filles (deux ont survécu, certes illlustres dont la future Anne de Beaujeu et Jeanne de France, future épouse du roi Louis XII . Enfin on se rappellera qu’en 1473 une nouvelle fois atterré par le décès prématuré d’un dernier garçon, le roi s’était juré de n’avoir plus aucune relation avec aucune femme que la sienne, ce qui permet de penser qu’il n’en manqua point auparavant et que de toutes les façons, il n’en eut guère avec Charlotte après…

Elle n’eut bien sûr aucun rôle politique mais même si elle n’intéressa jamais beaucoup son mari, ce dernier qui ne cessa de l’appeler « ma femme » ne lui manifesta pas moins un constant respect. Elle s’éteignit à Amboise , tristement, solitairement et pieusement le 1° décembre 1483 à 40 ans, elle était déjà malade lorsque trois mois auparavant son mari, était mort à Plessis-les-Tours, sans lui confier la régence dont dernière cruauté, il chargea sa fille Anne » le seul vrai homme de mon royaume » ce qui était sans doute sage mais point habituel ni courtois. Néanmoins la pauvre reine habituée au silence resta muette et officiellement fidèle. C’est d’ailleurs aux côtés de son mari à Cléry (près d’Orléans) qu’elle fut enterrée, prisonnière de son mariage au delà même de la mort.


  • LEVEL P. « Charlotte de Savoie, reine de France et dame d'Amboise (1461-1483) », in Bulletin et mémoire de la Société archéologique de Touraine, no 42-3, 1990, p. 22-23.
  • GAUDE-FERRAGU M. « L'honneur de la reine » : la mort et les funérailles de Charlotte de Savoie (1er-14 décembre 1483) », in Revue historique, no 652, 2009, p. 779-804 .