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Introduction

UNE LONGUE HISTOIRE

 Prétendre présenter deux cents princesses liées à la Maison de Savoie sur 1000 ans est une gageure, car, indépendamment de la difficulté de tracer le portrait et l’histoire de personnes sans documents essentiels sur leur vie personnelle et leur rôle politique, il est évident que du fait de la variété extrême des situations, des tempéraments et des vies de chacune, en faire une synthèse est presque impossible.

Cependant il est intéressant de refaire l’histoire bien connue de la famille de Savoie non plus à partir des généalogies masculines traditionnelles mais selon la méthode moins orthodoxe des femmes à marier reçues - épouses des souverains ou des princes latéraux, ou envoyées -les filles de ces dernières confiées à d’autres familles. L’intérêt pour être multiple est évidemment certain :

  • histoire de femmes dans un genre qui privilégie généralement les hommes réduits ici à un rôle essentiel puisqu’ils choisissent, mais secondaire - quels ont été les critères de leur choix  et quels en ont été les résultats ?
  • histoire européenne puisque ces femmes, monnaies d’échanges, sont les instruments de pouvoirs variés non seulement de la Maison de Savoie mais de toute une série de familles particulières étalées du Portugal à la Bulgarie, de la Saxe, de la Bohême à l’Angleterre, chacune avec ses illusions et ses caractères.
  • histoire psychologique : comment ces femmes ont-elles pu s’habituer à des changements radicaux et mystérieux pour s’adapter à de nouvelles vies avec de nouveaux accompagnements dans un but souvent unique, celui d’une production obligatoire de descendants mâles. D’où pour le sexe féminin un rôle nécessaire mais secondaire de procréatrices, tout le reste étant livré au hasard.

Le résultat ? le plus souvent la misère humaine avec des femmes grandies peut-être dans le luxe mais plus certainement encore livrées à des inconnus après de douloureuses ruptures, donc condamnées à s’adapter ou à rester isolées et méprisées.

Le miracle, car il y en a, est de trouver dans cette foule des personnalités vigoureuses qui en dépit de bien des difficultés, ont réussi à s’imposer comme épouses, comme mères, comme souveraines en tenant des rôles essentiels dans des  circonstances forcément particulières puisque la normalité était de les laisser  dans des positions aussi discrètes que retirées. Les mille ans qui séparent Adélaïde de Suse et Marie-José « la reine de mai » ont comme principal intérêt de montrer la variété des attitudes de ces héroïnes involontaires dans des situations, semblables ou parallèles, d’affrontement avec les mâles, entre les lignages, les générations et les  intrigues en tous genres.

LE TRAFIC DES PRINCESSES

Le but d’une femme noble ou roturière, riche ou misérable, belle ou quelconque est selon une tradition sociale évidente la (pro)création d’héritiers nécessaires à la perpétuation du lignage. Cette destinée explique l’importance du choix déterminé par le « marché » ou la qualité des personnes considérées.  La réputation d’un clan tient ainsi autant à ses victoires diplomatiques ou militaires qu’à la qualité des résultats de ses quêtes matrimoniales. La société peut pardonner une erreur, rarement plusieurs successives. Chaque mariage est donc inévitablement une aventure puisque personne ne peut en prévoir le résultat même si chaque famille est entourée d’une réputation bonne ou mauvaise qui détermine les sollicitations extérieures.

« L’achat » d’une épouse est généralement préparé par les parents du prince et bien sûr d’abord par son père, car il importe de prendre son temps et d’avoir la possibilité de corriger éventuellement les choix initiaux. On consulte d’abord la famille car les premiers regards se portent sur les cousins puis sur les parents plus lointains et sur les alliés -à grands renforts de souvenirs des uns et de témoignages des autres. Même si on prend contact - car il faut parfois réserver sa place, les reculades et changements d’avis sont toujours possibles -et donc permises, d’autant que rien n’est gratuit. Une union doit renforcer une alliance, concrétiser un rapprochement ou encore redresser une opposition et changer une tendance. Les envoyés et représentants diplomatiques discutent donc plus ou moins ouvertement et longuement -car il faut bien parler des dots et envisager tous les points liés au mariage ou conditionnés par lui, avant de laisser la place à des représentants qui pour être officiels n’en sont que plus théoriques, le moment décisif étant celui de l’échange de la demande d’une famille et de l’accord de l’autre.

Généralement le futur est plus âgé que la princesse concernée dont souvent l’extrême jeunesse nous laisse rêveur. Il y a toujours le cas assez rare des mariages d’enfants très jeunes, mais cependant les promises de 7 à 14 ans sont  monnaie courante.

Jusqu’au XVI° siècle, les mariages princiers d’enfants sont assez fréquents car on n’est jamais assez prudents, d’où le ridicule d’une première cérémonie aussi officielle que symbolique suivie d’un délai plus ou moins long. Alors chacun revient chez soi avec au moins la conscience d’un dossier réglé à temps. Mais la nouvelle petite souveraine peut aussi se voir installée dans sa nouvelle famille où une seconde cérémonie viendra en fait concrétiser, des années après, le premier engagement à moins qu’elle ait été  oubliée entre temps.

C’est alors que la cérémonie nuptiale atteint un comble de luxe, de fastes et d’enthousiasme collectif. Selon Cabaret, au Moyen-Age, les fêtes, danses et repas se succèdent normalement pendant plusieurs jours pour la plus grande joie du peuple témoin. Même s’il nous est difficile de connaître les rites précis de la famille de Savoie.

Bien sûr il fut impossible de maintenir pendant des siècles une identité de gestes et de manifestations. Dès le mi-temps du XIX° siècle, on sent une remarquable mutation : le blanc devient, ici comme ailleurs, la couleur du sacrement et de la cérémonie et il n’est plus nécessaire à la mariée d’arriver en pleurs au pied des autels signifiant ainsi le regret de sa virginité -ou de sa liberté ? Il n’est plus question non plus d’éviter toute publicité car la monarchie devenue vedettariat ne peut continuer plus longtemps de jouer la discrétion.  Force est donc dorénavant de multiplier les gestes ou attitudes symboliques : étalages de bijoux, échanges de baisers forcément chaleureux, envols de colombes, gestes de soumission ou de respect entre les époux ou envers leurs parents, spectacles annexes au théâtre ou en public ; tout cela pour la plus grande joie des innombrables témoins.

Comme dans le reste de la société occidentale, le marié est le plus souvent bien plus âgé et plus mûr que sa promise, parfois même il est veuf, ce qui accentue encore son rôle personnel dans les démarches prénuptiales –ce qui est le cas d’un prince arrivé au trône en évitant le poids d’une mère régente. Peu importent ses goûts car l’essentiel est d’avoir bientôt un successeur mâle, d’où l’intérêt d’une princesse jeune -dès 12-14 ans ou au pire de 8-10 ans. Cette obligation amène une éducation adéquate même si très limitée puisqu’en fait la seule chose demandée à une jeune promise est de donner à son mari un héritier le plus tôt possible. Malheur à celle qui n’y arrive point, ou situation plus douloureuse encore, qui le déçoit avec des filles. Bien entendu jamais n’est envisagée la responsabilité ou la faute du souverain.  Jusqu’au XIV° siècle la coupable peut risquer le renvoi forcément honteux et toujours craindre la disgrâce de son époux ou le mépris de sa belle-famille.

Peut-on se fier aux commentaires flatteurs des courtisans ou ambassadeurs sur la beauté de l’épousée ? Bien sûr courtisanerie et orgueil aidant il est difficile de dire le contraire mais flatteuse ou non l’allure de la jeune souveraine n’est pas suffisante pour retenir des mâles assoiffés d’ardeur sexuelle dont la maison de Savoie fournit une belle collection.  Relevons le grand souci de ces « coureurs » de ne jamais mêler les affaires du cœur et celles de la raison, celles de la vie privée et celles de la vie publique. Les 21 bâtards de Charles-Emmanuel 1° sont plus exceptionnels par leur nombre que par leur nature avec quelques exceptions vertueuses comme les cinq fils de Victor Amédée III -qui pourtant n’avait pas été non plus un modèle. Les aventures royales furent de natures diverses, Victor-Amédée II mêla, ici comme ailleurs, la fantaisie et la rigueur avec son « amie » Madame de Verrue, alors que Charles-Albert s’empêtra dans ses contradictions morales et que, au contraire, son fils Victor-Emmanuel II passa sa vie entière dans des unions aussi frénétiques que passagères et autant nobiliaires que roturières, avant de terminer dans un amour « bourgeois » avec la belle « Rosine ».

Le propre des épouses officielles était donc de se savoir trompées, triste sort auquel la plupart se résignèrent jusqu’au XX° siècle en se réfugiant dans l’amour de leurs enfants, dans l’exercice sérieux de leurs fonctions et bien sûr dans la piété. Quelques unes eurent la chance d’avoir un époux transi d’amour comme ce fut le cas au début du XVI° siècle pour Marguerite d’Autriche avec Philibert le Beau, en 1663-64 de Charles-Emmanuel II avec Françoise d’Orléans, « la colombine d’amour » ou en 1722-23 de Charles-Emmanuel III avec Anne-Christine de Bavière -unions d’autant plus  remarquables dans ce millénaire qu’elles furent courtes.

La majorité ne signifiant pas forcément l’unanimité, il importe de souligner la fidélité de certains comme Amédée VIII et Amédée IX – ce qui a valu la sainteté à ce dernier, ou les deux derniers frères de la branche aînée, Charles-Emmanuel IV et Charles-Félix dont on peut s’interroger sur la profondeur de leur volonté propre ou sur leur résignation d’impuissance. Nuançons aussi la réalité, car si les souveraines étaient bien obligées de se résigner des « trahisons » de leurs époux, il n’en est pas moins vrai qu’un certain nombre se sont montrées sincèrement aimantes, réalisme ?  résignation ? double jeu ? sens inné du devoir et de l’apparence ?  les cas les plus remarquables sont encore dans l’attitude des deux Marguerites, celle dite  d’Autriche qui consacra son veuvage à la construction de l’église-tombeau de Brou . Trois siècles et demi après la reine Marguerite, fut aussi digne dans son veuvage que sa cousine la reine Victoria -ce qui n’enlève rien au mérite de ses devancières  ou de ses deux suivantes.

Dans de telles conditions, on comprend que l’idéal de ces femmes ait été en fait d’être de bonnes mères, élevant au mieux leurs enfants, surtout leur fils aîné, prêtes à le défendre contre tout ennemi réel ou supposé -certaines allant jusqu’à la possession morbide de ce dernier comme les deux « Madame Royale » du XVII° siècle. Evident devient alors le souci de la régence, qui, chez les Savoie, semble être décidée loin de toute déclaration solennelle d’une cour de justice mais qui n’en est pas moins sévèrement réglée comme le montre la querelle tristement célèbre entre les comtesses Bonne de Bourbon et Bonne de Berry au XIV° siècle. Que décida en fait le comte Rouge en mourant  alors qu’il se contentait de hocher la tête lorsqu’on lui suggéra de nommer sa mère et non sa femme ? Le conseil du prince peut-il se tromper et revenir sur son choix ?   Mais certaines questions demeureront sans réponse : une ancienne régente peut-elle revenir au pouvoir comme l’aurait voulu Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours ?  Il n’empêche que dans les Etats de Savoie, comme en France au nom de la loi salique, on n’admettait que passagèrement et sous strict contrôle de confier le pouvoir suprême à une femme si douée fut-elle.

Qu’y a t-il de plus triste que de mourir la première : ainsi la tendre Marie de Bourgogne, la charmante épouse d’Amédée VIII morte à 42 ans, Françoise d’Orléans la « colombe d’amour » de Charles-Emmanuel II morte à 20 ans en 1642, ou un siècle plus tard Polyxène de Hesse morte à 29 ans dans les bras de Charles-Emmanuel III, ou de rester la dernière avec le triste sentiment du dépassement, du danger et de la lucidité comme la reine Marguerite à 75 ans en 1926 ou sa belle fille, la reine Hélène à 79 ans en 1952, murée dans sa solitude et le sentiment d’être déjà morte depuis longtemps… Même en évitant de telles misères, on ne pouvait s’empêcher de regretter le beau temps forcément perdu, l’inévitable isolement du veuvage et des changements de génération et, bien sûr, la retraite loin de chez soi et des siens…

Le sort des princesses filles et sœurs de souverains , parties au fur et à mesure des aléas politiques, reproduit en sens inverse la misère des souveraines, ce qui ne peut que généraliser la triste impression de vies en apparences fastueuses et chanceuses et en fait aussi tristes que celles de leurs contemporaines roturières et populaires.

 TOUT  SAVOIR SUR LA MAISON DE SAVOIE

Seule des familles régnantes d’Europe, la Maison de Savoie pose la question de son nom, car on ne lui connaît pas d’autres appellations que sa référence à la province d’autant qu’elle ne prit le titre de comte de Savoie qu’à la fin du XII° siècle. La question demeure de l’apparition de cette dénomination

Un millénaire sépare approximativement l’apparition du premier prince de la dynastie: Humbert aux Blanches Mains* de l’abdication forcée d’Humbert II* roi d’Italie en 1946. Cette longue durée n’a d’équivalent qu’avec les Hohenzollern, alors que les Habsbourg se sont étirés sur le trône pendant six siècle, les Bourbons sur quatre, les Romanov et les Hanovre d’Angleterre sur trois.

Famille ambitieuse qui a toujours été obsédée par le progrès de ses titres: comte de Maurienne au X° siècle,  comte de Savoie au XII° avec le titre prestigieux mais vain de vicaire impérial, duc de Savoie en 1416, roi de Chypre et de Jérusalem à la suite du mariage du duc Louis 1°*avec Anne de Lusignan (même si  Jérusalem avait été perdu au XIII° siècle et Chypre au XVI°), roi de Sicile en 1713 puis réduit à être roi de Sardaigne en 1716. Victor-Emmanuel II° devient roi d’Italie en 1861 et son petit-fils Victor-Emmanuel III* sera ravi de devenir un  éphémère empereur d’Ethiopie en 1936 après la conquête de ce pays par les troupes fascistes.

Cette ambition repose sur la conception très vive de l’utilité de tenir le monopole de la traversée des Alpes occidentales, projet qu’il avait fallu défendre d’abord contre les Dauphins du Viennois en Dauphiné et les Grimaldi des Alpes du sud, mais aussi contre les deux puissants concurrents de France et d’Autriche. Par une habile politique de bascule entre les papes et les empereurs, puis entre les Capétiens et les Habsbourg, les «Portiers des Alpes» surent conserver la maîtrise du passage transalpin -au Mont - Cenis essentiellement, ce qui donna à la Savoie une importance capitale dans la géopolitique européenne pour le meilleur comme pour le pire. En effet ette «porte» amena ici bien des invasions autant françaises qu’espagnoles, autrichiennes ou allemandes avec leur cortège de misères et de destructions -les pires étant celles des Français au XVII° siècle et celle des Allemands pendant la seconde guerre mondiale.

On a beaucoup insisté sur le glissement progressif de la Maison de Savoie du pôle savoyard à l’Italie du Nord, en fait dès le début elle a «joué» sur les deux versants des Alpes. A l’Ouest il fallut d’abord s’imposer aux comtes de Genève et aux barons du Faucigny mais les nobles surtout Vaudois et Bressans restèrent longtemps turbulents et les hauts Valaisans menacèrent constamment l’Etat savoyard.  Cependant la mainmise sur le Piémont fut encore plus difficile du fait de la turbulence des communes et de l’irréductible opposition des marquis de Saluces et de Montferrat, d’autant que la fâcheuse habitude des apanages de Savoie-Vaud et de Savoie-AchaÏe en Piémont puis de Savoie-Nemours en Genevois en faveur des cadets de la famille comtale avait la triste conséquence de diviser l’Etat sitôt après ses agrandissements. C’est seulement à la fin du XIV° et au début du XV° siècle que ce dernier donna enfin l’impression à la fois de son unité et de la sûreté de ses frontières.

Cependant au XVI° siècle la maison de Savoie perdit d’abord le pays de Vaud, Genève et le Valais puis la Bresse, le Bugey et le pays de Gex. De ce fait, les ducs bloqués vers l’ouest ne purent manquer de jeter leur dévolu sur la plaine du Pô, en particulier sur la riche Lombardie, objectif illusoire en 1733 et en 1848, mais qui se réalisa en 1859 et en1860.

Comme toutes les familles, celle de Savoie ne put éviter des alternances de capacités variables, mais quelques constantes s’imposent. A l’ambition familiale correspond souvent un grand détachement à titre individuel : combien de princes eussent préféré ne pas se marier, ne pas régner et mener une vie sainte et retirée dans des couvents !  Humbert III*, Amédée IX* et  Charles-Félix* ne purent y arriver. En 1730 Victor-Amédée II* se retira mais commit l’erreur de changer d’avis; en 1802, Charles-Emmanuel IV* abdiqua et se fit jésuite et  après la défaite de Novare en 1849, Charles-Albert *quitta précipitamment son royaume pour s’ensevelir mort-vivant à Oporto au Portugal et Humbert II *n’insista pas en 1946 pour faire valoir ses droits après un référendum que beaucoup jugeaient faussé même dans son principe!. Si beaucoup de princes furent très attirés par les femmes, ils ne leur laissèrent jamais le pouvoir et les Etats de Savoie ne connurent jamais le risque d’une madame de Pompadour ou d’une maîtresse royale trop influente, ce qui n’empêcha pas des régences décisives comme celles d’Adélaïde de Suse au XI° siècle, celle de Bonne de Bourbon pour Amédée VII* au XIV° siècle et surtout celle de Christine de France au XVII°. Le cas de Yolande de France s’imposant en lieu et place de son époux Amédée IX* au XV° siècle reste l’exception qui confirme la règle.